Vendredi, je me suis fait racketter 20 Roupies

Préface : tout va bien, aucune attaque n’a été portée à mon intégrité physique ou morale.

Préface bis : Je ne crois pas vous avoir beaucoup parlé de mes cours. Or, il peut être utile de faire un petit « point université » pour la bonne compréhension de cet article. Je suis mes cours avec un groupe de 35-40 élèves en master de Peace and Conflict Resolution ; je crois que l’on appelle ça War studies dans certaines universités. Pour faire simple c’est une branche des relations internationales qui se concentre sur les guerres et conflits en s’interrogeant particulièrement sur les solutions et outils de résolution des conflits. L’un de mes cours, intitulé Skills For Conflict Transformation a exclusivement pour optique ces outils, et donne lieu à des situations assez cocasses lorsque la prof décide de nous démontrer par des exercices pratiques l’intérêt de ces outils.

Nelson Mandela Centre For Peace And Conflict Resolution, Jamia Millia Islamia. ça en jette non ?

Ainsi, en arrivant en cours le matin avec mes 10 minutes de retard habituelles (on ne se refait pas), j’ai constaté que le cours n’avait pas commencé. Au moment où je m’assieds, la prof annonce que nous devons tous lui donner 20 Roupies (30 centimes d’Euro). Tiens donc, et pourquoi ? On verra plus tard. Bien. Les sous collectés, elle ajoute 200 Roupies de sa poche et annonce avec un sourire : « Bon, maintenant, vous avez 8 minutes pour décider ce que vous allez faire de cet argent (environ 600 Roupies, soit un peu plus de 8€50). Vous devez prendre une décision à l’unanimité. Faites en ce que vous voulez, vous pouvez aussi choisir de ne rien en faire et de récupérer chacun votre mise. Mais la décision doit être unanime. »

J’avais plus de billet de 10Roupies la dernière fois alors j’ai donné une moitié de billet de 20.

S’ensuivent 3 minutes de chaos, piaillements, chuchotements, conciliabules et interpellations d’un coin à l’autre de la classe. « COLD COFFEE » est la première idée (et pas la plus stupide, puisqu’un « cold coffee » à la cantine coûte exactement 20Roupies). Une autre suggestion vient vite, celle de donner l’argent à un des mendiants de Jamia, mais l’idée rencontre quelques objections, car « cela fait tout de même beaucoup pour un seul mendiant ». Puis quelques tentatives de compromis sont faites comme celle de partager la somme en deux, dont la moitié au mendiant et la moitié pour acheter des momos et cold drinks pour la classe, mais tous ne sont pas convaincus. La prof intervient alors en disant que, si le consensus n’est pas atteint au bout des 8 minutes, elle gardera l’argent pour elle (je ne sais pas si c’est très légal et si elle l’aurait vraiment fait). C’est alors qu’on se tourne vers la délégué de classe et qu’on lui demande de prendre une décision, de donner son avis. Elle propose d’utiliser l’argent pour acheter de la nourriture à distribuer aux enfants pauvres du « Community center » (un espace commerçant à côté de la Jamia). Un bras se lève, deux, puis, après quelques arguments insistants, tous les bras sont levés ; idée adoptée 3 minutes avant la fin du temps imparti !

Et voilà, la prof peut partir dans un discours sur le processus de facilitation et les outils à utiliser pour parvenir à un consensus. Je vous tiendrai au courant de la réaction des enfants quand on ira leur donner la nourriture (pour l’instant, la déléguée garde l’argent). C’était une petite leçon, à la fois sur l’enseignement à l’indienne (discutable) et à la fois sur le sens de l’entraide des étudiants. Ça doit être mon côté bisounours, mais je trouve la solution adoptée plutôt cool ; et je ne suis pas sûre que les étudiants de la rue Saint Guillaume auraient eu l’idée d’aller reverser leur collecte de fond aux mendiants du boulevard Saint-Germain…